La Nuit des jeunes sans-abri
Jean-Marc passe le chapeau au coin d'une intersection achalandée
du centre-ville. Son visage est brûlé par un soleil
impitoyable, comme le cultivateur qui passe tout son temps dans
les champs; mais pour Jean-Marc ce sont les trottoirs qu'il lui
faut moissonner pour survivre
Malgré son jeune âge,
on dirait presque un retraité qui aurait déjà
beaucoup de vécu derrière la cravate
Lorsqu'il
enlève sa casquette pour saluer les automobilistes prisonniers
du feu rouge, c'est une chevelure toute cotonnée qui bondit
hors du couvre-chef, semblant momentanément agresser les
pauvres automobilistes qui ne savent plus comment ignorer la petite
bête de cirque urbain qui les sollicite
Quelques conducteurs mal à l'aise le prennent en pitié
et lui lancent des piécettes, qu'il attrape avec adresse,
à travers la vitre entrouverte sans jamais une seule fois
en échapper une
Comme lorsqu'on attrape les derniers
ufs frais qui roulent en bas du comptoir de la cuisine lorsqu'on
s'apprête à faire une omelette. Dans une autre vie
Jean-Marc était doué pour les sports et aurait pu
faire un excellent gardien de but pour le Canadien. C'est ce que
son papa disait avec fierté quand il était petit
et qu'il gardait les filets de son équipe moustique
Il fait déjà froid en ce début de novembre
et le vieux veston brunâtre de Jean-Marc n'est plus assez
chaud; il a pourtant quatre épaisseurs en dessous. Déjà
quelques pouces de neige sur le sol, mais ça ne restera
pas
Ses bottines d'itinérant sont trouées et
prennent l'eau; les épaisseurs de sacs de plastique qu'il
avait judicieusement enroulées autour des semelles avant-hier
sont déchirées; le macadam, c'est comme du papier
à sabler, ça vous use un gars à la longue...
Jean-Marc n'est pas seul
Ils sont plusieurs milliers dans
nos grandes villes à vivre à la dure selon leurs
propres règles, à chercher le
bon Dieu dans la rue ou un accueil chaleureux; un accueil
Bonneau
Mais ils ne trouvent pas toujours et plusieurs
mourront de faim, de maladie et de froid cet hiver si nous ne
faisons pas le minimum pour eux
Dans la nuit du vendredi 8 novembre se tiendra une vigile dans
onze grandes villes du Québec, La
nuit des jeunes sans-abri, une nuit pour sensibiliser la population
et nos gouvernements pour qu'ils agissent contre la pauvreté
et la désespérance; Montréal, Québec,
Joliette, Longueuil, Rimouski, Saint-Hyacinthe, Saint-Jean-Chrysostome,
Sherbrooke, Trois-Rivières et Victoriaville veilleront
au grain. Les veilleurs de nuit sont attendus à partir
de 18H00 et braveront la température froide autour de feux
de fortune jusqu'au lendemain matin en guise de solidarité
humaine
Par Alain
Bellemare
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