C'est
le soir tant attendu. Maman a immolé la gigantesque citrouille qu'on a
achetée la semaine dernière pour être certain d'en avoir une
belle! Elle a pris un minuscule couteau et, comme une grande prêtresse animant
un rituel païen, elle a sculpté des yeux, creusé un nez, et
fait apparaître une bouche avec des dents manquantes... C'était comme
grand-papa juste avant qu'il soit mort! J'aimais beaucoup ce petit coupe-patates.
Maman m'avait déjà intercepté avant le départ pour
l'école avec la petite lame enfouie dans ma poche arrière
- Où t'en va-tu avec mon couteau à patate mon petit 'sa Kirpan'
Moi,
j'avais compris sacripant! Pierrette et Jeanne, mes soeurs, trépignent
d'impatience. On se prépare à attaquer les résidences des
voisins à coups de Trick or Treat (des bonbons ou on vous fait un
mauvais tour)
En anglais, c'est plus court. Et ils ont pas le temps de réfléchir
ou de nous fermer la porte en pleine face... Dans le quartier, les policiers
font du temps supplémentaire. Leur Chef en a fait des prisonniers d'un
en-droit commun... un coin de rue. Habituellement, on les voit jamais, sauf lorsqu'ils
attrapent papa quand il fait un stop américain, mais au Québec
seulement car aux États c'est permis, ou lorsqu'on est en retard pour la
pratique de hockey, ou lorsque qu'on va chercher des beignets chez Monsieur Donut...
le deuxième poste de police de la ville. Ils appellent ça la surveillance
de quartier! Les flics occupent l'intersection et peignent l'avenue
tantôt en bleu, tantôt en rouge, avec leurs gyrophares qui clignotent
alternativement pour inciter les automobilistes à la prudence: -
De grâce, conduisez prudemment! Je ne voudrais pas qu'on me frappe avec
mon gros sac de bonbons. Nous dévalisons la petite rue. Nous accélérons
la cadence à chaque porte
comme si nous avions peur de manquer de
friandises. C'est la course au sac le plus rempli... Celui qui a le plus de bonbons
gagne la compétition. - Tiens ! Monsieur Corbeil a pas décoré
sa maison
On sonne tout de même
On dirait qu'il y a personne
Ou
bien ils sont à court de papillotes, ou bien ce sont des radins. Leur fils
est pourtant venu chez nous pour quémander des bonbons. Je l'ai vu quand
je m'habillais. Peut-être qu'ils sont des Baptistes, car les vrais chrétiens
participent pas aux fêtes païennes. Papa dit que tous les chrétiens
sont des païens car ils adorent les statues de la Vierge et de Saint-Joseph...
même à genoux dans la fange. - Merde! Y font perdre du temps
précieux... Nous nous regardons en silence, et nous fonçons
vers la prochaine citrouille allumée
- La charité s'il
vous plaîîîîîîît !
Merciiiiii
! Après deux heures de course, d'escaliers à monter et descendre,
et de haies à enjamber, nous sommes épuisés. Jeanne veut
sacrer son camp à maison
Pierrette a mal aux pieds. - Criss!
Vous auriez pas pu mettre des runnings comme moi! Après avoir maîtrisé
ma déception, je jette un "Bon ! C'est correct
On s'en va." Arrivés
sains et saufs à la maison, maman nous ouvre la porte toute grande. Nous
nous engouffrons dans l'ouverture avec les courants d'air frais d'automne. Vivement,
je me défais de mon déguisement à la con et de mes souliers
de course, car maman ne tolère pas qu'on marche sur ses parquets luisants.
Enfin, ils l'étaient presque avant qu'on rentre! Nous nous installons,
Pierrette, Jeanne et moi, autour de la table de la salle à dîner,
et nous étalons notre butin sous le regard inquisiteur de notre mère.
- Les pommes
On les jette !
qu'elle dit. Les bonbons qui
sont pas enveloppés aussi
Je fais le tri dans la montagne de
friandises; les petites barres de chocolat ici, les tires par-là, les suçons,
les bonbons durs, les réglisses, les chips
La petite boîte
de l'Unicef est pleine à craquer de piécettes sonores. À
l'école, ils ont dit que c'était pour acheter des livres et des
médicaments pour les sans abris du tiers monde, loin, très loin
dans l'Afrique reculée
Des pauvres démunis. Un jour, au centre-ville,
un monsieur en guenilles avec une vieille tuque des Nordiques enfoncée
jusqu'aux sourcils s'est approché et a tendu la main; - La charité
s'il vous plaît
Vous auriez pas quê'que trente sous ? Je
m'étais dit que ça ressemblait étrangement à l'Halloween,
sauf qu'on était deux jours après! Papa lui a donné un billet
de deux dollars, il avait plus de monnaie. Je savais pas qu'il y avait des personnes
âgées qui avaient le droit de quêter des friandises et de l'argent
pour les pauvres, et ce même toute l'année ! J'ai alors demandé
à papa si mes sous de l'Unicef lui seraient versés, même s'il
n'habitait pas au tiers monde, car papa disait que c'était un pauvre, un
pauvre gars qui avait pas eu de chance comme nous, qu'il était probablement
sans abris et qu'il en aurait sûrement besoin... de mes sous! Lorsque
je lui ai dit, à mon prof, à qui donner les sous de ma petite boîte,
il m'a dit que les pauvres d'ici c'était les riches d'Afrique... Mais j'ai
tout de même insisté pour qu'on donne mes sous au Monsieur du Centre-ville.
Je vais écrire un petit mot à l'Unicef pour qu'ils aident le pauvre
Monsieur. La soirée de l'halloween passée à crier
La charité s'il vous plaît est déjà terminée
Dans la cour d'école, demain matin, ce sera plutôt 'Tes bonbons ou
une claque sur la gueule!'
Les profs appellent ça le taxage, mais
c'est une autre histoire. Ça n'a rien à voir avec la fête
de l'Halloween. C'est pourquoi je ne mettrai dans mes poches que les papillotes
les plus dégueulasses demain matin
On sait jamais! Historique
de l'Halloween L'Halloween tire son origine d'une fête
celtique, la Samain, qui marquait le1er jour de l'année celte. Celle-ci
était divisée en 2 cycles de 6 mois. La Samain se célébrait
le 1er novembre. Mais les Celtes comptaient en nuits, et non en jours, de sorte
que la célébration devait commencer le 31 octobre au soir. Les druides,
qui célébraient cette nuit croyaient aux sorcières et aux
fantômes. Ils allumaient de grands feux pour honorer le Soleil et faire
peur aux mauvais esprits. La nuit bien sûr, les vivants pouvaient rencontrer
les défunts qui revenaient du Royaume d'Ankou. C'était donc pour
eux la fête des morts! Fête qui fut reprise par les catholique; le
jour de la Toussaint, moins les sorcières et leur balais.
Par Alain
Bellemare |